Écrit le 30/10/19

En l’état du droit actuel, il n’est pas possible de mettre fin à une relation commerciale établie sans respecter un préavis suffisamment long.

En effet, l’article L. 442-1, II du Code de commerce prévoit que le fait de « rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, en l'absence d'un préavis écrit qui tienne compte notamment de la durée de la relation commerciale, en référence aux usages du commerce ou aux accords interprofessionnels », engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé.

Le champ d’application de ce texte est très large, puisqu'il s’applique à toute personne exerçant des activités de production, de distribution ou de services.

1. Les conditions de la responsabilité de la rupture brutale des relations commerciales établie :

La responsabilité de l’auteur de la rupture brutale pourra être engagée lorsque les trois critères suivants sont constatés :

  • La relation présentait un caractère établi ;
  • La rupture est totale ou partielle ;
  • La durée de préavis appliquée est insuffisante.

Le caractère établi de la relation sera constitué lorsque la relation est régulière, significative et stable (Cass. com. 15-09-2009, n° 08-19200). Les juges s’attachent à regarder si, au regard de la continuité des relations entre les parties concernées, la victime de la rupture a pu raisonnablement considérer que la relation allait se poursuivre avec la même stabilité (Cass. com. 16-12-2008, n° 07-15589).

La rupture brutale pourra être caractérisée dans de nombreux cas, même si la rupture n’a pas été matérialisée par un courrier indiquant expressément la volonté de rupture.

De même, la modification désavantageuse des conditions de la relation pour l'une des parties, imposées unilatéralement par l'autre, pourra être qualifiée de rupture totale brutale, si cette modification est substantielle. Au surplus, les juges ont pu considérer que la baisse subite et considérable du volume d’affaires pouvait entraîner la responsabilité de son auteur, et ce, même si la relation se poursuit (Cour d’appel de Paris, 16-06-2011, n° 09/28449).

Enfin, l’auteur de la rupture doit respecter un délai de préavis suffisant afin de laisser à son partenaire commercial le temps de se réorganiser. La durée de préavis à respecter doit s’apprécier en tenant compte :

  • Des critères légaux, à savoir : la durée de la relation commerciale, en référence aux usages du commerce ou aux accords interprofessionnels ;
  • De l’appréciation retenue par la jurisprudence et notamment :
    • Des circonstances au moment de la notification de la rupture,
    • Du volume d’affaires réalisé,
    • Du secteur concerné,
    • De l’état de dépendance économique de la partie victime,
    • Et de l’exclusivité de la relation commerciale.

Les tendances suivantes peuvent se dégager, dans la jurisprudence, pour des relations commerciales :

  • D’une durée inférieure à 10 ans => préavis de 6 à 12 mois ;
  • D’une durée comprise entre 10 et 20 ans => préavis moyen de 12 mois ;
  • D’une durée supérieure à 20 ans => préavis de 12 à 18 mois.

Mais encore une fois, il n’existe pas de durée minimale obligatoire clairement fixé par les textes, et chaque affaire doit être appréciée au cas par cas. Ainsi, les juges ont récemment retenu une durée de préavis de 2 ans, dans le cas d’une relation d’une durée de 50 ans entre un fabriquant et un distributeur (ayant rompu les relations commerciales), compte tenu notamment de la proportion que représentait l’activité confiée au fabriquant dans son activité globale (Cass. com., 21-03-2018, n° 16-17146).

Toutefois, l’article L. 442-1, II du Code de commerce (en sa nouvelle rédaction résultant de l’ordonnance n°2019-359 du 24 avril 2019) a instauré un principe d’exonération de responsabilité, en cas de respect d’un préavis de 18 mois, et ce, quelle que soit la durée de la relation commerciale. Ce délai au titre du préavis constitue par conséquent une protection pour l'auteur de la rupture, et sera particulièrement intéressant s’agissant des relations commerciales très longues, pour lesquelles les juges pouvaient jusqu’à présent retenir un délai de préavis supérieur à 18 mois.

Enfin, par exception aux principes décrits ci-dessus, une relation commerciale établie peut toutefois être valablement rompue sans préavis en cas d’inexécution (suffisamment grave) par l’autre partie de ses obligations, ou en cas de force majeure.

2. Les conséquences de la responsabilité de la rupture brutale des relations commerciales établie :

L’auteur d’une rupture brutale d’une relation commerciale établie engage sa responsabilité civile, quelque soit le statut juridique (commerçant ou civil) de la victime du comportement incriminé (Cass. com. 06-02-2007, n°03-20463).

Si les conditions susvisées sont constituées, l’auteur de la rupture brutale devra réparer le préjudice subi par la victime par le versement de dommages et intérêts. 

Le préjudice indemnisable est celui résultant de la brutalité de la rupture, et non de la rupture elle-même.

Ce préjudice est évalué en fonction de la durée de préavis jugée nécessaire. 

Le plus souvent, le préjudice résultant d’une rupture brutale de la relation commerciale établie doit être évalué en considération de la marge brute escomptée durant la période de préavis qu’aurait dû respecter le cocontractant (Cour d’appel de Paris, 02-02-2017, n°15/04850).

Rappel : la marge brute est définie comme « la différence entre le prix de vente d’un produit ou service et son coût de revient, c’est-à-dire le coût de production ou d’acquisition » (Cass. com, 23 janvier 2019, n°17-26870).

Ainsi, l’indemnisation de ce préjudice correspond au gain non réalisé pendant le préavis qui aurait dû être accordé, c’est-à-dire, le montant qui replacerait la partie subissant la rupture dans la situation qu’elle aurait connu si la rupture brutale n’avait pas eu lieu.

La jurisprudence a également retenu, pour évaluer le préjudice subi, la marge sur les coûts variables, évaluée selon le chiffre d’affaires dont la partie victime a été privée sous déduction des charges qui n’ont pas été supportées du fait de la baisse d’activité résultant de la rupture (Cour d’appel de Paris, 17-01-2018, n° 15/17101).

Au-delà du principal préjudice que constitue le gain manqué, la partie victime peut éventuellement solliciter le paiement d’une indemnité réparant des préjudices particuliers, à condition qu’ils découlent directement du caractère brutal de la rupture (à titre d’exemple, certaines juridictions ont indemnisé le préjudice moral résultant de la rupture brutale en se fondant notamment sur le manque de loyauté et le comportement vexatoire de l'auteur de la rupture).

Le préjudice indemnisable est donc dépendant des spécificités de chaque d'espèce.

Rappelons enfin que la victime de la rupture brutale des relations commerciales établies peut engager une action en responsabilité dans un délai de cinq ans à compter de la rupture, et que des règles spécifiques de compétence territoriale sont fixées en la matière.

 

Conclusion

Les dispositions relatives à la rupture brutale des relations commerciales sont d’ordre public et il est interdit d'y déroger par des clauses permettant aux parties de rompre leur contrat sans préavis. Il est donc indispensable de bien réfléchir à la durée de préavis à appliquer, que ce soit au moment de la rédaction du contrat ou lors de la rupture elle-même.

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